Penny Goring,
Art Hell Trio (2019)

Fear, 2012, Poem/soundpiece, to be played on any device, anywhere, 1 minute 31 seconds.

Art Hell trio: Destroyer; Money Wedding; The One Who Might Be Dead, 2019, impressions sur papier, à imprimer sur une imprimante domestique et à accrocher sur une surface à la discrétion du propriétaire

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Collection de 49 Nord 6 Est - Frac Lorraine

 

 

Au nom de la mère, de la fille et de leur saint corps, Penny Goring croit fermement en la capacité de l’art à révolutionner les esprits. C’est ce que laissent penser ses œuvres polymorphes, qui passent aisément du dessin numérique à la pièce sonore, aux sculptures en mousse et aux installations. Quel que soit le médium choisi, il y a entre elles des points communs et des nuances, des répétitions et des différences, qui se fondent en un corpus dédié tout entier aux femmes et à leurs multiples facettes. C’est que l’artiste, dans son corps, son art et sa carrière, a éprouvé les conséquences d’en être une. Artiste femme, mère célibataire, elle n’accède à la reconnaissance qu’après bien des détours hors du monde de l’art et, surtout, longtemps après ses comparses hommes sortis pourtant en même temps qu’elle d’école d’art. Ce n’est pas une question de talent. C’est dans l’art, malgré tout, qu’elle trouve une manière de résister. À ce corps que d’autres ont voulu rendre marginal, à ce sexe décrété inférieur, aux identités empêchées, asservies, objectifiées, Penny Goring oppose des figures, des voix et des récits alternatifs. Étudiant dans l’histoire de l’art et des images les stratégies déployées avant elle pour imposer une hiérarchie entre les sexes, elle entend façonner d’autres modèles, capables, peut-être, d’inverser la tendance multimillénaire.

Alors que beaucoup se sont attachés à représenter le paradis, Art Hell Trio vient tout droit des enfers. Le triptyque 3.0 que l’artiste en a ramené n’a été dicté par nulle évangile –comme l’aurait voulu la tradition tissée par des artistes hommes dès l’an mil – mais bien plutôt par l’urgence. Dans de petites vignettes aux bordures rappelant celles d’étendards médiévaux, des saynètes sont esquissées d’un geste vif autour de corps de femmes dans quantité de situations. Un simple trait noir, tracé sur ordinateur, décline les sévices qui les guettent au quotidien : agressions, viols, féminicides, rituels de la société venus contrôler leurs interactions avec autrui. Les figures flottent, cheveux défaits, sur les pages blanches qu’elles ponctuent parfois de taches dont tout laisse penser qu’il s’agit de sang. Des béances qui trouent leurs corps sortent des gouttes, mais aussi des fleurs ou encore des poings. Dans ces petites vignettes se jouent en même temps le supplice et la délivrance, le combat et son dénouement. Les femmes de Penny Goring ne se laissent pas faire. Fortes et fières, elles s’exhibent, nues mais jamais plus victimes. Femmes fatales, elles se battent pour leurs droits et leur dignité. Ces petites séries de dessins qu’elle diffuse comme des cartes postales (il suffit à qui en fait l’acquisition de les imprimer depuis son ordinateur) sont tout à la fois des exemples à suivre et de petits objets à fonction apotropaïque. C’est au Moyen-Âge, encore, qu’apparaissent les premières images du type : les fidèles s’en servaient pour éloigner le mal et suivre le bon chemin. Pour renforcer leur pouvoir, Penny Goring les accompagne aussi de sa voix. Avec Fear, elle propose ce qui a tout l’air d’une invocation. À mi-chemin entre la comptine et la formule magique, elle y récite méthodiquement toutes ses peurs, pour mieux les faire disparaître.

Il paraît que ce qu’on ne peut pas le nommer, il faut le taire. À force d’avoir été considérés comme innommables, les peines, les torts et les traumatismes ainsi enfouis sont innombrables. Mais si je les dessine, les exclame et les diffuse au plus grand nombre, est-ce qu’ils pourront un jour disparaître ? Qu’arrivera-t-il si je me pare de totems pour m’en guérir, de saintes matrones pour m’en défendre, de mots pour m’en libérer ? Une révolution des mœurs, assurément !